L’amiante, un cas d’école

Publié le par André Chassaigne

 

 Fin janvier, j’intervenais à l’Assemblée nationale sur deux textes concernant les risques sanitaires et environnementaux. J’ai souhaité prendre comme point d’appui à mes interventions, un cas d’école, celui de l’amiante, avec la lutte exemplaire des anciennes salariées de l’usine Amisol à Clermont-Ferrand. Ce n’est en effet qu’à la fermeture de leur usine, en 1974, qu’elles ont appris les risques auxquels elles avaient été exposées en manipulant cette fibre, sans protection, durant plusieurs décennies. En 1994, en créant le premier « Collectif amiante prévenir et réparer » – CAPER –, les anciennes d’Amisol ont été les pionnières du mouvement national engagé pour la reconnaissance des droits des victimes de l’amiante en France.

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 Leur détermination a précipité la création de l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante mais elles n’ont jamais pu obtenir la reconnaissance de la culpabilité des dirigeants de l’entreprise. Pourtant, dès 1906, un inspecteur du travail, Denis Auribault, sonneur d’alerte avant l’heure, avait rendu un rapport sur les dangers de ce matériau, à la suite de décès successifs dans une usine de textile en Normandie. Comment expliquer alors que l’interdiction de l’amiante ne date que de 1997 ? C’est bien en connaissance de cause que les salariés ont continué à être exposés, au mépris des règles de protection, avec la complaisance du pouvoir politique. Les procédures pénales engagées par les victimes ou leur famille ont été systématiquement freinées, d’abord dans le bureau du juge d’instruction, puis au tribunal de grande instance. En prononçant, le vendredi 8 février dernier, un non-lieu dans l'affaire Amisol instruite par la juge Marie-Odile Bertella-Geffroy, la cour d'appel de Paris a même éloigné la perspective que soit examinée la responsabilité pénale du patron de cette entreprise de Clermont-Ferrand.

 Dans les débats sur ces deux propositions de loi, j’ai donc soulevé à la fois l’enjeu de santé publique, et d’autre part, l’enjeu démocratique et politique, pour redonner à nos concitoyens confiance dans la prise en compte par la puissance publique de ces risques. Si les attentes sont si fortes, c’est parce que nos dispositifs de sécurité sanitaire, de protection des consommateurs et de l’environnement se sont construits de manière erratique, au gré des affaires et des scandales. Plomb, amiante, sang contaminé, vache folle, Médiator, Bisphénol A, voire OGM : chacun de ces épisodes, parfois dramatiques, a systématiquement mis en évidence les conséquences des logiques de rentabilité conduisant à la recherche du profit à tout prix, et l’inertie des pouvoirs publics face à des situations intolérables, avec pour corollaire l’émergence de conflits d’intérêts majeurs au sein des agences chargées de l’expertise publique.

 L’inscription dans notre droit des principes de prévention et de précaution n’y a rien changé. Et pour cause ! Les divers dispositifs existants poursuivent invariablement le même objectif pour préserver la liberté des acteurs économiques de réaliser le profit pour lequel ils ont investi : réduire les délais entre la prise de conscience d’un risque, et de ses effets, et la réaction à cette prise de conscience. A l’opposé, c’est vers une logique de prévention que nous devons articuler notre système de protection des consommateurs, des travailleurs et de l’environnement. Pour cela aussi, il nous faut mener une action déterminée pour exiger de nouveaux droits.

 

Chronique publiée dans le Journal La Terre. 

 


 

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