Allocution lors du 71ème anniversaire de la fusillade de Châteaubriant

Publié le par André Chassaigne

Madame la Présidente déléguée, Monsieur le Député, Madame la Sénatrice, Monsieur le Maire, Mesdames et Messieurs les Conseillers Régionaux et Généraux. Mesdames et Messieurs les Présidents d’Associations, Mesdames et Messieurs les représentants d’organisations syndicales et politiques.

Mesdames, Messieurs, chers amis, chers camarades,

Tout d’abord merci.

 

Merci pour cette invitation, qui me fait honneur, à participer à ce rendez-vous annuel de la mémoire, dans cette carrière de la Sablière, hommage aux 27 fusillés du 22 octobre 1941. 27 indissociables de ceux de Nantes, de Souge, du Mont Valérien et de la Blizière. « Un anniversaire pour tous les Français » écrira, dès l’année suivante, Louis Aragon, ajoutant : « le deuil, l’orgueil aussi, parce que vingt-sept Français sont morts comme on sait mourir pour la France ».  

Merci pour faire ainsi émerger de ma mémoire les célébrations commémoratives qui ont rythmé mon enfance et mon adolescence de fils de maquisard auvergnat, des gerbes déposées chaque 8 Mai aux rassemblements annuels du Mont Mouchet. Année après année, mon imaginaire et ma conscience se sont nourris à la fois des grandes figures de la résistance auvergnate et de nos camarades martyrs du mouvement communiste. Ces résistants communistes, combattants de l’humanité, qui ont donné leur nom à tant de cellules et sections de notre Parti, le Parti des Fusillés.

Guy Môquet était de ceux-là. Avec ses compagnons, il était de ceux-là bien avant d’être convoqué comme icône d’un début de mandat présidentiel.

 

C’est dans les moments de commémoration, comme aujourd’hui, que des lettres de l’alphabet ont progressivement fait sens et m’ont grandi : ARAC, FNDIRP, ANACR, mais aussi CGT, PCF, et bien sûr JC, mon premier vrai engagement. Plus que des sigles, ces lettres assemblées et mises en partage ont été, pour moi comme beaucoup d’entre nous, année après année, passeuses de valeurs, éveilleuses de conscience et vecteurs de combats.

Que serait, sans les différentes associations mémoriales présentes aujourd’hui, sans celles et ceux qui les font vivre, que serait la mémoire de la Résistance et de la Déportation, le message des combattants de l’ombre, les avancées sociales du Conseil National de la Résistance ? Et serions-nous ici, en ce 71ème anniversaire, sans la présence de l’Association des familles de fusillés, et sans l’activité et la persévérance des adhérents et animateurs de l’Amicale Châteaubriant-Voves-Rouillé-Aincourt ? Où en serait la conscience populaire, alors que tout est fait pour dénaturer les combats de nos camarades fusillés, ici à Châteaubriant, comme ailleurs en terre de Résistance ?

 

Merci de m’avoir ainsi extrait des débats budgétaires de la session parlementaire pour rédiger cette allocution que je suis si fier et ému de prononcer. C’est avec humilité que je m’exprime au regard des mots écrits ici, il y a 71 ans, sur les planches d’une baraque, quand l’écriture est à la fois point final d’un engagement d’honneur et commencement d’une page d’héroïsme.

Et le député que je suis, voudrait rappeler, en ce jour, que les débats parlementaires, au détour d’une loi, comme celle de ce début d’année 2012 sur le sens du 11 Novembre, peuvent servir l’objectif d’uniformisation de la mémoire. Régulièrement, émerge la remise en cause des grandes commémorations nationales patriotiques, dans le but de les banaliser et de les vider de leur sens historique et des valeurs qu’elles portent.

L’objectif est d’entretenir la confusion et l’oubli de la spécificité de toutes les guerres auxquelles notre pays a été confronté, alors qu’il est de tradition, dans notre République, de rendre hommage aux anciens combattants de chacune d’elles, à chaque date anniversaire historique de la fin de chaque conflit.

Si nous ne voulons pas que toutes les mémoires soient amalgamées, c’est tout simplement pour que chaque génération réfléchisse et tire les enseignements de chaque guerre.

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Je l’avais écrit l’an dernier au Président de la République, dès l’après-midi du 11 Novembre 2011, après avoir écouté, le matin même, la lecture de son message devant les monuments aux morts : « En mêlant, indistinctement, tous les champs de bataille, on accrédite l’idée que le combat des poilus sacrifiés à Verdun, en 1916, aurait le même sens que la mort de nos malheureux engagés militaires français tombés à Diên Biên Phu, en 1954. Est-ce que mourir sous les balles et les obus nazis, dans le verrou de Sedan ou au Mont Mouchet, a la même signification que d’être, hélas, tué sur les rives du canal de Suez en 1956, ainsi que lors des guerres coloniales passées et actuelles ? ».

Je pense que cette interpellation prend tout son sens en ce lieu. Et que le geste d’un Guy Môquet sur son vélo, lâchant des tracts à la volée, n’a pas le même sens que signer son engagement volontaire pour une guerre coloniale.

En confondant des événements et engagements qui n’ont pas la même portée historique et humaine, le risque est que tout soit fondu dans une même condamnation abstraite de la guerre, qui empêche de réfléchir sur ses causes. En ne distinguant plus les situations, en unifiant les conflits, on aboutit à une vision aseptisée de l’histoire et de la mémoire collective, qui ne permet plus de comprendre le passé et de construire lucidement l’avenir. Mais sans doute est-ce là l’objectif recherché, si l’on en juge par la place désormais accordée aux programmes d’histoire dans l’enseignement secondaire.

 

Fort justement, les enseignants de cette matière s’en émeuvent. Et ils regrettent aussi que dans les nouveaux programmes d’histoire, les guerres soient envisagées comme un tout, parfois traitées ensemble, ce qui conduit à des rapprochements erronés ou fallacieux. Rassembler les conflits du vingtième siècle dans le concept flou de « guerre totale » réduit ces conflits aux efforts et souffrances qu’ils ont engendrés, sans en aborder les enjeux, sans évoquer la contextualisation politique et idéologique de ces catastrophes successives.

En privilégiant la « folie des hommes », pour reprendre les mots de l’ancien Président Sarkozy, enseigner l’histoire des guerres reviendrait seulement à extirper le mal, le mal présent en chacun de nous. À cette aune, tout se vaut, et c’est alors la défaite de la volonté de comprendre.

C’est dire l’importance de rassemblements comme ceux d’aujourd’hui, pour rendre un hommage particulier : c’est de cette forme de communion contre l’oubli que se dégage une approche historique qui fait réflexion, par l’analyse des causes et de l’enchaînement des faits.

 

Car, comme pourrions-nous vraiment comprendre l’histoire des 27 en occultant le vécu de chacun d’eux, sans savoir comment chaque personnalité s’est historiquement et socialement construite : le bonheur festif des luttes et conquêtes sociales de 1936 ; l’inquiétude, puis le chagrin, quand la République espagnole est attaquée et renversée par Franco ; la mobilisation populaire contre la montée du fascisme et son cortège de violences racistes et antisémites ; la honte et la révolte face à la débacle, et l’effondrement d’une France gâteuse préférant Hitler au Front Populaire.

Comment pourrions-nous comprendre le sacrifice de chacun d’eux sans prendre en compte leur engagement respectif de communiste, de syndicaliste, d’élu du peuple, dans le contexte historique de la chasse aux communistes, conduite sous le prétexte du pacte germano-soviétique ?

C’est cette approche historique qui permet, aussi, de mieux analyser, au-delà de l’émotion, l’évolution progressive de l’esprit de la résistance, année après année, de la révolte patriotique à la prise en compte des valeurs de progrès social, jusqu’à la rédaction du programme du Conseil National de la Résistance. Pour reprendre des propos de Raymond Aubrac : « On pourrait convoquer le mot utopie pour qualifier l’esprit de la Résistance. C’est grâce à cela que l’on pouvait, en 1944, imaginer une France meilleure ».

 

Aussi nous faut-il puiser dans les pages d’histoire et dans le sacrifice de tant de fusillés, d’internés et de déportés, ici et ailleurs, les leçons nécessaires à la compréhension du moment présent :

 

              - Analyser la montée du fascisme et du nazisme dans les années 30, n’est-ce pas, aussi, mieux comprendre la montée et la banalisation, aujourd’hui, des populismes xénophobes et nationalistes, en France, avec le Front National, comme en Hongrie, en Belgique comme en Grèce, et dans tant de pays européens ?

 

               - Ne pas gommer les responsabilités du patronat dans la mise en place de la barbarie hitlérisme et ne pas effacer la réalité du pétainisme industriel d’un Louis Renault, n’est-ce pas, aussi, mieux comprendre comment, et avec quels artifices, s’arcboutent aujourd’hui sur leurs privilèges les tenants de l’agent-roi ?

 

               - Ne pas oublier les « wagons plombés » de Nuit et Brouillard, les « Jean-Pierre, Natacha ou Samuel », n’est-ce pas, aussi, gagner en lucidité et se questionner mieux, aujourd’hui, sur le sort réservé aux immigrés sans-papiers ?

 

               - Rappeler l’histoire des brigades FTP MOI de Manouchian et ses frères de combat, connaître le refus de chacun de ces jeunes résistants étrangers de se replier dans son identité arménienne, hongroise, espagnole ou allemande, n’est-ce pas, aussi, mieux comprendre, aujourd’hui, qu’un étranger peut être un complément à sa propre identité plutôt qu’un danger ? N’est-ce pas démontrer que l’identité d’un homme ou d’une femme va bien au-delà de l’appartenance à une communauté ?

 

               - Expliquer le contenu précis et la mise œuvre concrète du programme du Conseil National de la Résistance pour reconstruire un pays dévasté, associant progrès économique et progrès social, n’est-ce pas faire comprendre, aujourd’hui, dans un monde en crise, pourquoi de nouvelles avancées sociales donneront de meilleurs résultats que le carcan de l’austérité présentée comme la seule solution ?

 

Mesdames, Messieurs, chers amis, chers camarades,

Comme chaque année, l’émotion nous étreint.

Dans cette carrière, 71 ans après, comme si c’était hier, les ordres fusent, les fusils claquent, 27 corps s’effondrent sous les balles du peloton d’exécution allemand, 27 otages désignés par un ministre pétainiste français, 27 vies volées…

Et comme chaque année, chacun vit ici la grandeur de l’humanité. L’humanité qui ne renonce pas. L’humanité qui lutte. L’humanité qui construit le bonheur du plus grand nombre. Et chacun d’entre nous dépasse sa simple émotion par sa propre prise de conscience. La conscience qui interroge, apprend, se construit. La conscience qui accompagne, guide… et nous grandit.

 

Des martyrs de Châteaubriant aux militants progressistes d’aujourd’hui, de la lettre jaunie du martyr au tract du militant, le fil doit rester le même : l’Humain, l’Humain d’abord, l’Humain toujours.

Cette humanité qu’avait si bien traduite Rosa Luxembourg : « Etre humain. Mettre sa vie toute entière sur la grande balance du destin ».

Que le destin des 27 continue à nous aider, aujourd’hui comme hier, à construire l’humanité de demain… nous aider tout simplement… à « continuer la vie ».

Oui, « continuer la vie » !

 

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C
http://www.paysdechateaubriant.fr/Chateaubriant-s-est-souvenu-a-la-Sabliere_a7692.html
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C
Ah non, de grâce évitez l'expression "L'humain d'abord !" Je ne la supporte pas ! Le reste me va.
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